Je remonte aux sources : mon 'passage' à l'informatique

 

  Ma passion pour les belles polices de caractères est apparue vers le milieu des années 1980, époque où, encore relativement jeune professeur curieux face aux premiers ordinateurs personnels aux prix presque abordables, j'avais "envie d'évoluer avec mon époque" et, surtout, de profiter de ce nouvel outil prometteur pour mieux structurer la présentation de mes cours et celle de mes polycopiés (encore à l'alcool, à cette époque !), et ce d'autant plus que mon écriture s'était rapidement détériorée une fois mes études achevées et devenait de plus en plus difficile à déchiffrer par les élèves : il me plaisait, avec cet outil, de me constituer un corpus de textes, d'exercices, de cours de méthodologie, etc., que je pourrais ensuite faire constamment évoluer, améliorer, au fil de mes propres progrès, de nouvelles perspectives issues de mes lectures, de mes échanges avec mes collègues, voire des réformes successives qui, à cette époque, ne suivaient pas encore le rythme fou actuel ! Je n'ai jamais regretté, plus tard, cette démarche, car j'ai le sentiment que ce choix m'a ensuite beaucoup aidé et stimulé sur le plan pédagogique : avec cet outil, je suis vite devenu plus exigeant à propos de la hiérarchisation de mes idées et intuitions, de la progression et planification de mes cours : le traitement de texte me permettait de rapidement déplacer des blocs de textes, de modifier le plan choisi... ce qu'on n'ose pas faire avec un polycopié manuscrit ou un tapuscrit, puisqu'il faut alors tout recommencer ! Et puis, au fil des années, après avoir appris à numériser, retoucher, etc., des images numériques, j'ai pu commencer à intégrer de plus en plus d'illustrations directement sur mes polycopiés ou à en projeter à partir de mon ordinateur portable.

  J'ai donc acheté mon premier ordinateur et une petite imprimante à neuf aiguilles (imaginez la résolution de l'impression !), un ATARI Méga ST4, permettant, grâce à son petit écran possédant une bonne résolution et un système de fonctionnement à la souris avec des fenêtres, d'éviter d'avoir à "pisser du code" dans un prompt, comme c'était encore le cas à cette époque avec les PC fonctionnant sous "DOS". Cet ordinateur était donc connu, à cette époque, comme le "Macintosh du pauvre", avec deux logiciels (Traitement de textes et PAO) assez sérieux et évolués pour l'époque et des possibilités assez bonnes en graphisme, ce qui me plaisait aussi beaucoup, et en musique aussi (mais, sur ce point, je suis totalement ignare et incompétent).

 

Mon éveil à l'intérêt de la typographie

 

  Qui dit texte issu d'un logiciel de traitement de textes, dit aussi choix d'une ou de plusieurs polices. Avec une vieille machine à écrire, la question ne se posait pas, même si les machines professionnelles (électriques et "à boule") permettaient déjà d'utiliser au moins deux types de caractères (si je ne me trompe) ! Me retrouver avec soudain une bonne quinzaine de polices variées m'a alors obligé à réfléchir à ce qui me semblait le mieux. Les premiers temps, je suis tombé naïvement dans tous les défauts des néophytes : quand on aime plusieurs polices, on fuit le choix strict et on en multiplie, de façon souvent incohérente, le nombre sur la même page ! De même, je n'avais aucune notion à propos des règles d'imprimerie concernant la mise en page, les espaces, la présentation des titres, etc. Il m'a fallu quelques années pour beaucoup m'améliorer à ce sujet : je lisais des magazines spécialisés, etc. En peu de temps, la P.A.O. et, surtout, les polices de caractères – donc, parallèlement, l'histoire de l'imprimerie – sont devenues des passions.

  Deux livres, au fil des années, ont été majeurs pour moi et m'ont permis d'aborder avec de plus en plus de sérieux la présentation mes textes :

  • Les caractères de l'Imprimerie Nationale (1990). Les imprimeries traditionnelles étaient déjà toutes passées à la P.A.O. avec les logiciels d'Adobe et les ordinateurs Macintosh qui régnaient en maîtres absolus à cette époque chez les professionnels de l'édition. Ce livre était, en quelque sorte, un appel à la vigilance, à la préservation de ce trésor représenté par les jeux de caractères fondus de nombreuses polices créées parfois depuis la Renaissance. Évidemment, j'en connaissais une partie par des catalogues de polices professionnelles pour ordinateur (qui coutaient très cher à cette époque), voire par les petites planches de lettres adhésives à transférer, très courantes alors dans les papeteries. Je suis rapidement tombé 'amoureux' de quelques polices, en particulier le Garamond, que je connaissais indirectement par mes livres des éditions La Pléiade et qui symbolisait merveilleusement pour moi les immenses progrès et richesses de la Renaissance.
  • Règles typographiques (en usage à l'Imprimerie Nationale) : une véritable 'bible' pour toute personne qui veut présenter ou publier correctement un texte... On se rend compte, avec cet outil, de la complexité des règles édictées progressivement par cette profession, règles qui viennent nous surprendre là où, souvent, on s'y attendait le moins !

  Un jour, j'ai pu acheter un tout petit logiciel Atari de création de polices de caractères. Il paraîtrait ridicule aujourd'hui tant la résolution était réduite : il faut imaginer qu'avant la fin des années 1980, la plupart des logiciels n'utilisaient que des polices bitmap ! La révolution des polices vectorielles n'a eu lieu que petit à petit. Je me revois faisant rentrer dans une grille aux cases pas très nombreuses (représentant les pixels utilisables) le dessin en escaliers très grossiers de ma première police choisie : le Garamond, évidemment ! Avec le monde du Bitmap, il fallait, pour cette raison, dessiner une police par taille voulue (par ex. 10, 12, 14...) car agrandir l'affichage d'une taille sélectionnée, c'était se condamner à une impression horrible : et dire qu'en dessin, en typographie, ce style revient parfois à la mode à travers la pratique du "pixel art" : quand la nostalgie nous tient ! Avec ce logiciel, la possibilité de régler "l'approche" de chaque lettre était très réduite. Mais, une fois un texte imprimé avec 'MA' police, je trouvais qu'on reconnaissait plutôt bien le Garamond. J'ai continué avec d'autres polices (par ex. la fonte "Didot"), environ une quinzaine avec, entre autres, la reproduction de quelques lettrines. Je ne me souviens plus de toutes, car tout cela, sauvegardé sur de vieilles disquettes, est parti depuis longtemps à la poubelle. J'avais même dessiné, pour mes courriers, une police de type "script" à partir de ma propre écriture, mais j'ai été déçu : pour chaque lettre, j'avais fait une moyenne des variations de forme et une fois un texte saisi et imprimé, le texte me paraissait tellement régulier que je reconnaissais à peine ma propre écriture ! Cette activité devenait 'frénétique' ! À cette époque, beaucoup de possesseurs d'un ordinateur Atari se plaignaient du peu de polices disponibles. Un jour, j'ai osé contacter "Atari France", en banlieue parisienne : mes polices ont été bien accueillies et, comme j'habitais près de Rouen, je suis allé apporter mes disquettes pour qu'elles soient diffusées. Ayant imité des modèles, je ne prétendais évidemment à aucun droit. Pour me remercier, on m'a offert une version bêta d'un tout petit logiciel destiné à faire du titrage : contour des lettres, ombrages, encadrements, etc. ce que tout traitement de textes normal fait directement et depuis longtemps aujourd'hui ! Mais avant cela, j'avais envoyé au Directeur de l'Imprimerie Nationale un exemple de texte avec ma police Garamond, pour savoir si j'étais aussi autorisé à copier, en l'adaptant après beaucoup de prédécesseurs prestigieux, une police appartenant au domaine public. Bien que créée à l'époque de la Renaissance, elle a souvent été redessinée, améliorée : par exemple, Garamond n'a pas directement inventé, dessiné les superbes italiques de sa police. J'ai reçu assez rapidement un mot très gentil de ce directeur qui m'a confirmé que j'étais tout à fait autorisé à imiter cette police. Sa seule petite critique concernait les "approches" des lettres parfois irrégulières... ce que je ne pouvais pas contester, en raison des limites de mon logiciel. Et je me souviens qu'il m'a aussi parlé d'une immense évolution technique qui commençait à révolutionner la typographie informatique : le dessin vectoriel, avec tous ses avantages : je découvrais soudain la lune ! Cela a sonné aussitôt la fin de mes longs moments consacrés au dessin de polices bitmap... mais pas de ma passion pour la typographie !

 

 

 

Exemple de police bitmap agrandie

 

En réalité, j'ai triché... 'un peu' !

 Cette police est actuellement téléchargeable parce qu'elle a été redessinée, recréée en format vectoriel afin, pour les amateurs du "pixel art", d'imiter les anciennes polices qui mettaient en évidence ces formes en escaliers des pixels, dès qu'on leur imposait dans un logiciel de traitement de textes, une taille plus importante que celle pour laquelle elles avaient été dessinées.

  Parallèlement, je m'intéressais aussi à l'histoire de l'imprimerie et aux différents types de polices : le choix d'une ou de plusieurs polices en vue d'une publication est toujours le résultat d'un choix stratégique et/ou artistique. Ainsi, pour la visibilité, ce serait une erreur de concevoir un site internet dont tous les textes seraient saisis avec une police avec serifs (empattements triangulaires et certaines parties très fines), comme le Times ou le Garamond. Idem : imagine-t-on un journal ou une édition prestigieuse (livres d'art, collection La Pléiade, etc.) avec une police de type script, voire le fameux "Comic sans"... rejeté actuellement par les infographistes, tant on en a abusé ? 

  Avec le développement rapide de la presse et de l'édition des livres, est apparu le souci de classer par types, selon leur destination finale, les polices les plus connues. Le premier classement efficace et réputé est dû au français Thibaudeau (début du XXe siècle) :

  • Les Elzévirs (d'après le nom d'un typographe hollandais) : comme le Garamond, le Times, le Palatino, etc. Présence d'empattements triangulaires, finesse de certaines autres parties des lettres... Ces polices conviennent bien aux textes denses et importants. Elles ont régné longtemps en maître pour la publication de livres et de journaux.
  • Les Didots (typographe français) : lettres caractérisées par des empattements filiformes, avec un fort contraste entre les pleins et les déliés (souvent très fins). Ex. Didot, Bodoni.
  • Les Égyptiennes : lettres avec des "empattements" rectangulaires (cf. sur le titre "Typographie" de cette page). Elles sont fréquemment utilisées, avec des fontes grasses, pour la publicité. Elles eurent beaucoup de succès aux USA lors de la conquête de l'ouest (ex. le fameux "WANTED" !). Ex., les polices Rockwell, Clarendon, Courrier, Prestige Elite.
  • Les Antiques : elles sont de plus en plus utilisées, comme dans ce texte ! Polices sans serifs ni empattements. Elles sont donc claires, nettes, faciles à déchiffrer, généralement utilisées en imprimerie pour les sous-titres, les chapeaux et pour la plupart des sites internet. Ex., Helvetica, Arial, Futura, Univers, Din, etc.

  Mais rapidement, cette classification a paru incomplète, car elle ne tenait pas compte des polices de type "script", des "cursives", des "monospaces", de toutes les polices de type "fantaisie" ou "grotesque" pour les titrages. D'autres classifications sont donc apparues par la suite, dont "Vox".

  Depuis toujours, je m'intéresse beaucoup aux affiches, etc., dont le graphisme, souvent très original, est conçu à partir de lettres de tailles, de couleurs, de position différentes, d'une ou plusieurs polices de caractères : par exemple, dans l'image ci-dessus, il y a un travail de ce type autour du mot "Garamond" avec la police du même nom : manière originale de jouer avec les codes ! Cela me fait indirectement penser aux écrivains célèbres qui, par coquetterie, ont écrit de superbes et longues pages sur "l'angoisse de la page blanche", alors qu'ils étaient en même temps en train de prouver qu'ils écrivaient une œuvre intéressante... avec beaucoup d'inspiration !

 

Mon initiation aux polices vectorielles

 

  J'avais évolué, grâce à mes lectures et à mon nouvel intérêt (lorsque j'ouvrais un magazine ou un livre) pour la mise en page, le choix de polices, les marges, la disposition des blocs de textes, le format du support, etc., bref, pour tout ce qui relève des compétences (mais aussi de l'inventivité) des métiers de l'imprimerie et de l'infographie, mises à ma portée par les logiciels de P.A.O.

  Très vite, après mon installation dans le pays viganais (1992), j'ai dû dire adieu à l'univers Atari, et basculer dans celui des PC depuis peu passés du DOS à Windows : Microsoft avait enfin réinventé la roue... en adoptant le système des 'fenêtres', longtemps après Macintosh et Atari ! Je me suis donc assez vite habitué à mes nouveaux ordinateurs. De plus, je disposais enfin de polices vectorielles relativement nombreuses et, pour beaucoup, gratuites. Conjointement, toujours très intéressé par la photo et le dessin, je me familiarisais avec Photoshop pour la retouche photos, l'exploitation d'images issues de livres (scannées : Internet n'existait pas encore !) afin d'illustrer mes polycopiés. Mais, en raison de l'abondance des polices évoquées précédemment, je ne me voyais pas revenir à la création dans ce domaine : j'imaginais d'ailleurs que le monde du dessin vectoriel était quelque chose de très compliqué, de très scientifique, un monde inaccessible pour moi : je lisais des choses mystérieuses sur les "nœuds" avec leur "poignée", les"splines", les "courbes de Bézier", etc. ! C'était, bien sûr, une idée totalement erronée.

  Il a fallu un élément déclencheur, une nécessité presque impérieuse, pour que je me jette un jour dans le bain de la création de polices vectorielles !

  Cet élément, c'est avant tout le grec ancien ! Pour mes cours, j'étais frustré de ne pas pouvoir, pour mes contrôles et mes cours, saisir mes textes directement avec le clavier. Il faut dire que la tâche, si j'avais voulu le faire tout seul, aurait été ardue, car la gestion de l'accentuation du grec ancien est très complexe et, à elle seule, occupe une grande partie des possibilités d'un clavier français. Or, l'évolution d'internet après le début des années 2000 m'a permis d'accéder à une immense base de données d'un site réputé pour les langues anciennes (jusqu'à la Renaissance) : le site PERSEUS de l'Université Tufts (près de Boston). Une initiative géniale : plus de nécessité de taper soi-même les textes des auteurs romains et, pour le grec, plusieurs solutions proposées, dont la plus simple pour moi était de passer par une police libre de droit,"SPionic", et utilisant un clavier standard qui obligeait à faire un copier-coller d'un texte du site utilisant et affichant le document voulu avec nos lettres romanes, donc un texte ne signifiant rien en français, mais qui, une fois collé dans mon traitement de texte pour être lu avec la police en question, affichait le texte en grec ancien.

  Mais alors, pourquoi se préoccuper de créations de nouvelles polices ? En fait, il y avait trop de choses qui ne m'allaient pas avec cette police :

  • La police elle-même était assez mal dessinée (cela a peut-être changé depuis cette époque !) : certaines lettres ne respectaient pas du tout, ou très mal, le style initial de la police. Graphiquement, elle avait dû être confectionnée à la va-vite à partir de lettres de différentes polices pour couvrir l'ensemble des besoins. Très agrandie, on en voyait facilement l'irrégularité des lignes.
  • Comme il s'agissait d'une initiative anglo-saxonne, le clavier ne proposait pas, comme on le fait en France, la distinction entre le bêta initial et le bêta à l'intérieur d'un mot ! Idem, entre le sigma final et celui placé à une autre place  ! Cela me choquait un peu.

 J'ai donc décidé de rechercher un logiciel (gratuit) qui me permettait de retoucher toutes les lettres. Cela a été un travail de bénédictin, car, visiblement, vu le nombre de nœuds affichés pour chaque forme (surtout les courbes), cette police était visiblement issue d'images scannées, vectorisées automatiquement et non retouchées. Les courbes étaient donc très irrégulières, les hauteurs mal harmonisées, etc. J'ai simplifié les courbes non lissées, en supprimant les nœuds inutiles, en utilisant les poignées de manipulation des splines et j'ai redessiné ainsi chaque lettre en harmonisant le graphisme. Je découvrais les bases du dessin vectoriel. Ma police finale ne donnait plus du tout la même allure et était plus harmonieuse. J'ai profité des quelques combinaisons de touches de clavier français laissées libres pour trouver une place pour mon dessin des couples de lettres bêta et sigma qui faisaient défaut, et même de lettres grecques très anciennes et disparues de l'alphabet classique, mais exceptionnellement nécessaires pour certains cours (étymologie) : le digamma, le Koppa, le Sampi... Pour l'utilisation de ma police, il me fallait aussi reprendre et clarifier le fichier expliquant l'utilisation du clavier et proposer un tableau avec quelques variantes qui permettaient surtout d'améliorer la position des accents selon la largeur de certaines voyelles : c'était, là aussi, un très gros défaut de la police Spionic (idem pour les approches). Évidemment, j'ai dû faire des concessions pour quelques approches et quelques accents : les lettres à accentuer n'ont pas toutes – hélas – la même largeur et il y a un gouffre entre un iota et un oméga alors qu'il fallait imposer une valeur moyenne entre la gauche et la droite pour le placement général des accents et des "esprits" doux et rudes (au dessin semblable à celui de nos apostrophes, mais tourné dans un sens ou dans l'autre). Toutefois, l'ensemble avait dès lors de l'allure et j'étais content de moi.

 J'ai baptisé cette police "Tadzoatrekei" : un clin d'œil à tous les hellénistes (= "les animaux courent" : mots collés d'une petite phrase grecque donnant son nom à une des premières règles de grammaire à apprendre). Comme je participais à l'activité de quelques sites pédagogiques de profs de lettres, j'ai communiqué l'info sur cette police et, à partir de là, elle a été beaucoup diffusée, aussi bien parmi les enseignants que les étudiants (IUFM, etc.).

 Dès lors, je me suis pris au jeu : j'ai commencé à dessiner des petites sœurs à "Tadzoatrekei", dont une moderne, car dépouillée, simplifiée : "Tagma" (= idée d'ordre, de rigueur) et d'autres, encore, en m'inspirant cette fois-ci de police romaines très utilisées à cette époque : "Comic sans" (encore lui !) pour "Takeros" (= ce qui est un peu fondant, alangui !) ; "Arial" pour "Talaurinos" (= qui a la peau dure !) Je n'ai choisi que des noms de polices avec un "T" pour que, lors du choix de la police dans mon logiciel de traitement de textes, elles soient bien regroupées.

 Ensuite, par nécessité pour moi et pour gagner ultérieurement du temps, j'ai commencé à 'mouliner' avec Tadzoatrekei beaucoup de textes importants de la culture grecque ancienne (des mois et des mois de travail frénétique !). Comme, entre-temps, j'avais conçu et mis en ligne le premier site de mon lycée, j'ai créé un menu pour partager mes cours de lettres en français et en langues anciennes (idem pour les autres volontaires de différentes matières). Quelques années après mon départ à la retraite (2010), "on" m'a rappelé au lycée parce que, 'finalement', les fichiers les plus téléchargés étaient mes polices de grecques et, tout naturellement, en raison de la nouvelle administration du site, un grand ménage dans les fichiers et les pages de mes cours avait été fait : les langues anciennes n'avaient soudain plus la cote ! Mais des internautes avaient commencé à contacter souvent l'Administration du lycée pour réclamer la remise en ligne de Tadzoatrekei !...

Et aujourd'hui ? "Tadzoatrekei" est toujours en téléchargement (me semble-t-il), mais je pense qu'il faut ou qu'il faudra bientôt tourner la page de cette aventure : à l'époque où je dessinais cette police, se diffusait un autre système tout récent, plus complexe, mais bien plus efficace : les polices "Unicodes", permettant de saisir directement et d'afficher quasiment toutes les langues avec la même police. Un système complexe, certes, mais très normalisé, peu facile d'accès au début des années 2000, car la plupart de ces polices unicodes étaient alors des polices professionnelles, peu nombreuses et chères. Aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé et, même si l'option "clavier SPionic" est toujours proposé au choix sur le site PERSEUS, cette option n'a plus d'avenir : j'imagine d'ailleurs que ma police ne doit plus être beaucoup utilisée : "Sic transit gloria"...

 Ci-dessous, des copies-écran de mes polices avec le début de l'Iliade :

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  Par la suite, mais cette fois-ci la tâche était beaucoup plus simple, j'ai aussi créé une police "Scansion" pour la poésie grecque et latine (les romains ont repris, entre autres, les rythmes et les règles de la poésie grecque).

  Pour l'illustration ci-contre, j'ai choisi un extrait de "l'Énéide" de Virgile, écrite avec les 'encouragements' de l'empereur Auguste : le poète reprend non seulement la rythmique la plus fréquemment utilisée par les grecques pour les épopées, "l'hexamètre dactylique", mais aussi la thématique de "l'Odyssée" d'Homère appliquée à l'histoire de Rome, pour en chanter évidemment la grandeur. Les anciens ne se souciaient pas de rimes et de strophes, etc., comme dans notre poésie moderne. Le grec et le latin sont des langues musicales : dans leurs poèmes, les règles appliquées concernent donc, pour simplifier, tout le vers, avec un agencement de six mesures rythmiques (séparées sur l'image par des slashs) : petites unités de deux ou trois voyelles respectant des règles précises : deux longues : –– ; ou une longue et deux brèves : –uu (combinaison appelée "dactyle" et imposée pour la cinquième mesure, d'où l'adjectif "dactylique" accolé à "hexamètre") ; ou une longue et une brève, mais seulement pour la dernière mesure : –u (ce qui explique la superposition longue et brève sur la dernière voyelle, puisqu'on sait d'avance que ce sera l'une ou l'autre : une sorte de joker pour les élèves qui se livraient à cet exercice !). Il existe bien d'autres sortes de rythmes pour les autres types de poèmes.

N.B. le -"am" barré de "famam" (quatrième vers) : en latin, toute syllabe finale d'un mot composée d'une voyelle+m était peu prononcée et donc considérée, en poésie, comme "muette" : cette terminaison est typiquement celle de l'accusatif singulier (cas du COD dans les déclinaisons latines) et c'est donc à partir de ce "cas" que les mots français qui se terminent par un e muet ont été formés ensuite en français.

 Après avoir dessiné tous les signes nécessaires à cette "scansion" (qui correspond un peu, comme sur une portée musicale, à la ligne mélodique du vers), la seule difficulté a été de tricher par rapport à la hauteur possible de la police et aux interlignages du texte (obligatoirement élevés) pour que ces signes puissent rester proches de la partie supérieure du texte, sans repousser les lettres de celui-ci au moment de la frappe.

Et aujourd'hui ?

 

  Je ne dessine plus de polices à proprement parler. Il y en a des milliers en téléchargement gratuit sur internet... dont un bon quart n'est qu'une pâle copie d'une autre police connue, voire professionnelle, quand il ne s'agit pas d'une copie de copie ! Les polices de type "fantaisie", "ethnique" ou "tribal" pullulent : il n'y a que l'embarras du choix pour le concepteur d'un flyer, d'une affiche, d'une B.D.... ou, comme pour moi, la conception d'une sérigraphie ou d'un transfert sur tissu.

  J'aime bien – en général – le style devenu "vintage" des affiches publicitaires ou des tee-shirts des années 1950 aux USA, mais trop souvent avec un slogan très/trop moralisateur : les graphistes recouraient à des jeux très complexes (parfois trop envahissants) avec les polices utilisées, grâce à la technique du "lettrage" : passage par le dessin manuel pour déformer, allonger, etc., des parties des lettres, principalement des manuscrites (avec un ordinateur, c'est aujourd'hui plus facile). Un style très particulier et qui est toujours très présent aux USA, par exemple pour les visuels autour de l'univers des bikers", etc. 

  Il m'arrive aussi, quand je vois sur le web un gribouillage, même flou, pour un projet de typographie ou de lettrines (plutôt moderne) qui me plaît extrêmement, de le mettre en toile de fond et de le reproduire pour moi seul en dessin vectoriel dans Inkscape, logiciel vectoriel qui me permettrait d'ailleurs de transformer ensuite directement l'ensemble en police, mais cela ne m'intéresse pas, car je ne destine ces graphismes qu'à d'éventuels titrages. J'étale généralement ce travail sur un mois, voire plus, au rythme de trois ou quatre caractères par jour !

Quant à mes tentatives de "lettrage" ou de simples jeux sur le placement des lettres pour mes visuels à imprimer sur tissu, elles restent bien timides et sages par rapport à celles que je viens d'évoquer : pas de longues arabesques et autres tarabiscotages baroques qui surchargent, saturent la page (peur du vide ?) comme des lianes. Je montre ci-dessous quelques images sur lesquelles j'ai rapproché la partie texte du dessin : deux visuels à partir du slogan "Don't panic" ; un visuel pour fêter les 70 ans d'une amie... sans que cela se voit trop ; un tee-shirt très "girly" pour une fillette très "cool" et amoureuse des escargots ; un visuel constitué entièrement d'un texte un peu provocateur sur l'affrontement "Millenials" vs "Boomers" ; enfin, un visuel avec des mains, que j'ai beaucoup aimé faire et auquel j'ai consacré beaucoup de temps, avec des fréquents changements de style, surtout pour les effets d'ombres sur les mains : mes premiers essais avec des trames rondes de type imprimerie – car j'adore ce style que, par nécessité, j'ai d'abord appris à créer en sérigraphie pour des impressions en quadrichromie –, ont été décevants lors de mes essais de transferts : beaucoup de points trop fins ne restaient pas collés au tissu lors du "pelage" du film. Au bout du compte, j'ai opté pour le style "gravure" (cela aussi, c'est vintage !) que j'aime également beaucoup : j'ai imprimé trois pavés pour composer le titre et ne choisir qu'au dernier moment du transfert (finalement, ce fut le pavé du milieu) : deux avec la police "Olympus" et un avec une police sans sérif classique. L'idée, très provocatrice, iconoclaste, propose une version inversée de la fresque de la Chapelle Sixtine de Michel Ange représentant la création : sur mon visuel, c'est la main d'une machine, un robot, qui transmet la vie à dieu (ou à l'homme si on le veut, mais, dans ce cas, il faudrait imaginer un autre texte !) : le "deus ex machina" ("le dieu venu de la machine") est la traduction latine de l'expression grecque qui désignait, au théâtre, le procédé utilisé pour créer un dénouement inattendu et artificiel mettant fin à une situation... qui, en toute logique, ne pouvait pas avoir de fin : à l'aide d'une machinerie, un acteur représentant un dieu descendait sur scène et punissait le.s 'méchant.s', etc.  D'où le choix de la police graphiquement Olympus en lien avec l'écriture grecque ! Je suis "tordu", je le reconnais, mais l'idée de détourner cette formule vers un tout nouveau contexte s'imposait alors tellement à mon esprit... que je n'ai pas pu m'interdire ce choix !

 

Dernière mise à jour : 14/01/2024

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